Une analyse rédigée par Juliette Lempereur, Terminale SSI
Le travail de Yoann Bourgeois, chorégraphe et artiste de cirque, est souvent décrit comme un nouveau genre : un genre unique qui emprunte au nouveau cirque émergé dans les années 70, mais qui se laisse aussi traverser par la danse, le théâtre, la poésie et possède à lui seul sa propre philosophie.
« Celui qui tombe », c’est d’abord une image très juste de la vie des hommes : l’amour, le bonheur, la tristesse, la solitude, la peur, la mort, toutes les facettes de la vie humaine y sont présentes.
Quelle que soit l’époque, l’homme est toujours le même, puisque seule la planche tournante sur laquelle évoluent les six danseurs reste un indice temporel, mais on ne sait pas s’il s’agit d’un reste matériel d’une pièce d’histoire, ou d’un reste des ruines de la modernité.
Quelle que soit l’époque, ces hommes sont également tout aussi impuissants face aux difficultés de la vie, représentées par leur danse incessante. L’homme est donc mis à la même échelle que tout être vivant et ainsi remis à sa place d’homme.
Cependant, l’humanisme est bien prôné, puisque l’homme est mis au centre même du spectacle.
Mais de cette oeuvre ressort quelque chose de grave qui en fait toute la beauté.
En effet, les danseurs n’ont jamais recours à la parole, la mise en scène ne prévoit que mime et danse en musique, avec de nombreux jeux de regards : parfois les mots sont impuissants à dire ce qui se cache au plus profond de nous, hommes, parfois les mots déforment la réalité. Le seul texte reste celui entendu dans les paroles des musiques choisies- quand elles en comportent- comme celles, éloquentes, de « My way », interprété par Frank Sinatra.
Le temps qui emporte tout est également un thème omniprésent : la vie peut être vue comme une longue marche vers la mort avec le choix du 2ème mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven. Et le souvenir que ce temps ravageur a emporté apparaît tristement au loin par une musique étouffée (il s’agit de « Casta Diva », un air extrait de « La Norma » de Bellini). Ainsi est exposée une certitude : penser au passé est important, mais il faut toujours s’obliger à vivre dans l’instant présent. Mais penser au futur, c’est aussi penser à la mort, même si son visage assassin est lointain. Cette mort est synonyme de solitude. Dévoilée quand tous les danseurs sont tombés et qu’il n’en reste plus qu’un, elle est auparavant exposée par l’abandon d’un des leurs, accompagné du choeur final de Didon (une autre abandonnée ! ) et Enée de Purcell.
« Celui qui tombe » est donc aussi une leçon de mort en étant une leçon de vie : toute la danse et tous les divertissements permettent aux hommes de ne pas penser à la mort qu’ils redoutent. Sans la mort, il n’y a pas de vie, et si Sysiphe roule incessamment son caillou en haut de la colline, c’est bien parce que celui ci a pu refaire le chemin inverse. Dans ce spectacle, il s’agit de la même gymnastique : celui qui se lève est aussi celui qui tombe, cependant celui qui tombe ne tombera pas plus bas que le sol. Tomber n’est pas grave en soi, car celui qui meurt est seulement celui qui ne se relève pas.
Ainsi, la vie n’existe pas sans lutte, et il ne faut pas baisser les bras, « The show must go on », il faut continuer à danser tant qu’on le peut. Celui qui réussit sa vie est, tout comme dans la philosophie de Spinoza, celui qui ne subit pas les objets extérieurs (ici le jeu des techniciens) mais parvient à jouer avec et à s’adapter à chaque situation sans la subir. La vie est représentée comme une pièce de théâtre, certes, mais les acteurs gardent une liberté d’action et ne sont pas des marionnettes.
En conclusion, dans ce monde rempli de richesses comme le montre la pluridisciplinarité des acteurs, le bonheur n’est pas atteint dans la perfection, mais par des choses simples : cette humanité présente tout au long du spectacle, ce sont des gens simples habillés simplement composant avec cette simplicité quelque chose de très émouvant.